Les mécanismes de l'addiction à la cigarette

Comment êtes-vous tombé·e dans le tabagisme ? (Épisode 4)

​Comment vous maintenir dans l’addiction au tabac ?

Cet article est la suite de l’épisode 3 : L’image que fumer véhicule

Les processus utilisés pour vous inciter à fumer et ceux destinés à entretenir cette sale habitude sont bien distincts et agissent sur des ressorts psychologiques différents.

Il faut bien comprendre que ces deux types de procédés sont complètement séparés et utilisent des stratégies complémentaires, mais qui n’ont pas les mêmes tactiques. Les méthodes utilisées ont d’ailleurs évolué avec le temps.

Les moyens d’hier

Avant que l’on connaisse le côté addictif de la cigarette et ses méfaits sur la santé, l’industrie n’avait pas grand-chose à faire pour maintenir les fumeurs dans l’addiction.

Principalement technique, son travail alors consistait à accélérer la mise en place de l’addiction, en améliorant ses produits, comme expliqué précédemment.

Les personnes voulant arrêter de fumer ressentaient alors une gêne qu’elles ne comprenaient pas vraiment et se persuadaient que ce n’était pas le bon moment.

Par ailleurs, la motivation pour arrêter de fumer était faible puisque le lien avec la santé n’était pas avéré.

Et puis heureusement, les choses ont changé.

Et ceux d’aujourd’hui

La nature addictive du produit ainsi que ses méfaits sur la santé ont été établis publiquement dès les années 1950.

Ceci a produit deux changements dans l’état d’esprit des personnes qui consomment ce produit qui ont alors réalisé :

  • qu’il est crucial de se débarrasser de cette habitude ;
  • qu’il faut fournir des efforts pour y parvenir.

L’industrie s’est alors adaptée à ces changements d’attitudes en modifiant sa stratégie.

Avant cela, elle a pendant longtemps cherché à retarder voire empêcher la prise de conscience par le public des méfaits de la cigarette. Par exemple, en finançant des centaines d’études « bidons » pour noyer dans la masse les études objectives. Ces efforts ont retardé de plusieurs décennies cette prise de conscience et ont donc été en quelque sorte couronnés de succès.

L’industrie a également mis au point une stratégie pour dissuader les personnes d’arrêter de fumer en exagérant :

  1. l’intensité des efforts à fournir ;
  2. la durée durant laquelle les fournir ;
  3. les risques de rechute, présentés comme des échecs définitifs.

Examinons ces trois points.

L’intensité des efforts à fournir

L’idée, vous l’avez compris, c’est de transformer ce changement en un défi vous paraissant tellement énorme que vous renoncerez à le faire ou, si vous le faites malgré tout, déciderez au mieux « d’essayer ».

En effet, si cela demande énormément d’efforts, on ne peut pas s’engager dans le processus d’arrêt certain de réussir. Cela serait présomptueux.

Du coup, on « essaye » d’arrêter.

Or, le fait « qu’essayer » quelque chose précipite son échec est une notion de base en psychologie.

Tout le monde peut le comprendre avec cet exemple simple : si votre partenaire vous indique sa volonté d’essayer d’être fidèle, c’est très mauvais signe. En quelque sorte, il ou elle a déjà décidé de son échec, attendant juste une bonne excuse pour pouvoir le faire sans trop culpabiliser et rejetant la responsabilité ailleurs.

Alors comment cette industrie a-t-elle fait pour vous faire croire que cela était si difficile d’arrêter de fumer, alors que des millions de fumeurs y parviennent si facilement et sans aucune aide ?

Sans doute pensez-vous qu’ils ont un « truc » en plus, que vous n’avez pas, de la volonté peut-être ?

Pourtant, peut-être avez-vous déjà arrêté facilement dans le passé, parce que les circonstances l’exigeaient (grossesse, maladie, perte d’un proche) ou que vous l’aviez juste décidé. Malgré cela, maintenant que vous avez repris, vous n’avez paradoxalement pas remis en cause l’idée qu’arrêter de fumer n’est pas facile et que ceux qui y arrivent le font grâce à une volonté forte.

En réalité, la réponse est ailleurs. Mais revenons d’abord au génie (utilisé à mauvais escient) de l’industrie du tabac.

Pour garder ses clients, apprenant le danger mortel représenté par la consommation de la cigarette, l’industrie du tabac est parvenue à faire en sorte qu’ils aient plus peur d’arrêter de fumer que de continuer.

Un bon moyen pour y parvenir a peut-être été d’orienter des recherches sur les effets de la nicotine afin d’insinuer que l’addiction à la cigarette provient uniquement de cette substance. Ensuite, il leur aurait suffit d’inonder le marché de solutions pour arrêter de fumer, et d’axer la communication sur la difficulté à arrêter de fumer, sur l’aide nécessaire pour y parvenir et sur l’impossibilité de le faire seul·e.

Peut-être même sont-ils les inventeurs de toutes ces choses à mettre dans la bouche, sur le corps, bonbons, sprays, médicaments et même quelque chose qui ressemble à la cigarette pour « aider » le fumeur à arrêter en remplaçant ce qui va lui « manquer terriblement ».

Patchs, chewing-gums ou bonbons à la nicotine, sprays, Champix®, Zyban®, cigarette électronique1 : autant de moyens qui répandent l’idée fausse, juste parce qu’ils existent et qu’ils sont nombreux, que c’est dur d’arrêter de fumer ! Et que vous n’y arriverez pas par vous-même. Que vous avez besoin d’aide.

Si c’était facile, on n’aurait pas déployé autant d’efforts pour développer tout cela, n’est-ce pas ? Que ce soit l’industrie du tabac qui ait inventé ces moyens ou non, le résultat est le même : leur diversité aide cette industrie.

Le piège se referme.

Si vous croyez cela, vous avez perdu (mais rassurez-vous nous allons changer ces croyances ensemble).

C’est comme si l’industrie du tabac avait créé une prison mentale, une sorte de camp de concentration ! Car il n’y a qu’une seule issue. Cette prison vous paraît tellement bien conçue, que vous vous sentez incapable d’en sortir par vos propres moyens.

Alors, vous vous tournez vers les seules méthodes que vous pensez à même de vous aider… qui sont fournies par les mêmes qui vous font croire que cette prison existe : les gardiens de cette prison mentale.

Comment alors vous étonner que ces méthodes n’aient pas fonctionné jusqu’à présent sur vous ? Ces méthodes comportent des erreurs fondamentales, à croire qu’elles ont été conçues pour être inefficaces…

Lorsqu’on arrête de fumer, on se heurte a deux types de résistances :

  • la dépendance physiologique, la résistance du corps : la phase de sevrage physique, qui dure moins d’une semaine et peut être accompagnée d’envie de cigarettes, d’un peu d’irritabilité et de nervosité2 ;
  • l’addiction, la résistance de l’esprit au changement : le temps de créer de nouvelles habitudes prends de deux semaines à huit mois, avec une durée moyenne de deux mois3.

Les deux résistances se superposent, mais au bout d’une semaine voire moins, il ne reste plus que la résistance au changement.

Car oui, mettez-le vous bien dans la tête, le manque physique lié à l’arrêt de la cigarette ne dure pas plus d’une semaine !

C’est extrêmement court. Et si cette phase peut sembler un peu désagréable c’est avant tout à cause des effets psychologiques, et non du manque lui-même.

Prendre un substitut ne fait que décaler dans le temps le moment de la confrontation au sevrage physique. Le principe est de s’attaquer d’abord à la résistance comportementale et aux mauvaises habitudes, en espérant qu’en diminuant progressivement la dose de nicotine il n’y aura pas de problème de sevrage.

Par ailleurs, la nicotine ne peut entraîner une dépendance physiologique que si elle est associée à d’autres composés présents dans la fumée de la cigarette4. Ces substituts à la cigarette n’en sont donc pas et ne peuvent pas fonctionner. C’est pourquoi 85 % des personnes qui essayent d’arrêter avec des patchs ou des chewing-gums à la nicotine se remettent à fumer5 (quinze pour cent d’arrêts avec les substituts donc) contre 90 % pour un placebo6 (soit dix pour cent d’arrêts)…

Quelle efficacité incroyable, cinq pour cent plus efficace que le placebo !

Les premiers symptômes du manque physique apparaissent entre trois et six heures après la dernière cigarette et une étude britannique de mai 2013 a mis en évidence que les substituts à la nicotine n’ont pas d’effet notable dessus7.

Le problème principal est qu’une composante psychologique majeure liée à l’arrêt de la cigarette n’est prise en compte par aucune méthode pharmacologique.

C’est pour cette raison que les méthodes reposant sur des processus psychologiques, l’hypnose par exemple, sont beaucoup plus efficaces pour arrêter de fumer que les méthodes « physiques ».

Lorsqu’on prend une décision quelle qu’elle soit, c’est comme si on mettait une quantité d’efforts qu’on est prêt à dépenser sur la table. Et cette quantité décroît avec le temps. Il est donc important de mettre les tâches qui demandent le maximum d’efforts au début afin qu’il y ait un accord entre ce que l’on est prêt à faire et les efforts requis.

Si on décale dans le temps le sevrage physique, au moment où il survient, on est en général assez loin de sa décision et on a moins « de réserve d’efforts » psychologiques disponible.

Il y a donc plus de risques de rechute à ce moment-là.

De toute façon, quelles que soient les addictions, cela demande beaucoup moins d’efforts à terme d’arrêter complètement que de diminuer sa consommation.

​Autre élément de manipulation psychologique

Lorsque l’on a un comportement qui n’est pas en accord avec certaines de nos valeurs ou ce que l’on voudrait être, cela crée un conflit intérieur. En psychologie, on appelle cela une « dissonance cognitive ». Ce conflit est source de malaise et notre esprit s’efforce de faire disparaître ce malaise. L’un des moyens privilégiés qu’il utilise est de construire un récit dont nous sommes le personnage central, dans lequel ce comportement est justifié et nous donne une bonne image de nous-même.

Par exemple, après un achat un peu impulsif et cher, on se rassure en se disant que les caractéristiques de ce nouvel objet justifient vraiment la dépense engagée.

Face à la cigarette, notre esprit ne manque pas de raisons pour ressentir un conflit intérieur. Que cela soit à cause de la santé, des dépenses engagées ou d’autres inconvénients, rares sont les fumeurs qui assument complètement le fait de fumer et toutes ses conséquences.

Notre esprit a ainsi tendance à construire une histoire dans laquelle la cigarette trouve sa place d’une manière cohérente et cette habitude, que nous savons mortelle, s’explique par des éléments qui nous permettent de ne pas nous sentir mal.

L’industrie du tabac a fait tout son possible pour vous prémâcher le travail. Moins vous avez d’efforts à fournir pour construire ce récit, plus il sera inconscient. Plus vous avez d’éléments dans ce récit, plus vous trouverez facilement des arguments qui s’adaptent à la situation dans laquelle vous vous trouvez.

Il est assez ahurissant d’entendre la mauvaise foi des arguments évoqués pour défendre ce comportement, de la part de personnes souhaitant pourtant sincèrement arrêter de fumer.

Il faut avoir toujours à l’esprit que ces éléments de récit ne sortent pas de nulle part, mais pour la plupart de l’esprit de psychologues cupides travaillant pour l’industrie du tabac.

En voici quelques-uns pêle-mêle :

  • Lorsqu’on évoque l’impact sur la durée de vie : « Je connais quelqu’un qui a fumé toute sa vie et qui a vécu jusqu’à 85 ans. » Il aurait peut-être été centenaire sans la cigarette et eu une vie plus agréable sans, mais n’en parlons surtout pas. Ou encore : « Je connais quelqu’un qui a été frappé par la maladie jeune alors qu’il ne fumait pas. » Quel rapport ? Oui, tout le monde meurt. On essaye d’invalider l’argument de santé par un contre-exemple qui ne tient pas. En suivant la même logique, on pourrait dire qu’on connaît un conducteur prudent et ayant eu un accident de voiture. Donc conduire prudemment ne sert à rien ! Dans le même ordre d’idées, vous pourrez trouver cinq joueurs de roulette russe sur six pour vous dire que c’est une occupation absolument sans danger. Le sixième n’est plus là pour nous relater son expérience.
  • « Fumer c’est un moment de partage et de convivialité. » Pensez-vous vraiment perdre des amis en arrêtant de fumer ou avoir des soirées moins agréables ? Passez-vous de moins bons moments avec vos amis qui ne fument pas ?
  • « Cela me permet de faire une pause. » Avez-vous vraiment besoin d’une excuse pour faire une pause lorsque vous en avez besoin ? Les non-fumeurs sont-ils privés de pause ?
  • « Cela m’aide à me détendre. » Les personnes qui fument sont bien plus détendues que le reste de la population, c’est bien connu !
  • « Cela me permet de réfléchir. » Bien sûr ! C’est pourquoi tout parent devrait faire fumer les enfants et les adolescents avant un contrôle ou un examen !
  • « Il faut bien mourir de quelque chose. » Donc autant hâter le processus.

« Quand il lut quelque part que fumer pouvait provoquer le cancer, il arrêta de lire. » – Anna Kirwan8

On pourrait résumer la chose ainsi :

L’industrie du tabac a créé depuis votre enfance, nourri et fait grandir une part de vous-même dont le but est de vous maintenir en esclavage.

Cette partie de vous, qu’on pourrait appeler votre « destructeur adoré »n s’est intégrée à votre psychisme au point de vous donner l’impression de ne faire qu’une avec lui et que sa voix est la vôtre.

Lorsqu’elle vous incite à ignorer des informations pouvant vous sauver la vie, vous avez l’impression que c’est votre décision. En réalité, c’est l’industrie du tabac qui vous a mis·e sous hypnose et a comme inséré un virus psychique en vous.

L’industrie du tabac vous a infecté·e.

Alors comment en sortir ?

​Qu’en conclure ?

Dans cette partie, j’ai voulu vous expliquer comment l’industrie du tabac avait très habilement créé les conditions afin que vous tombiez dans le piège de la cigarette, ainsi que les pièges psychologiques qui vous y maintiennent.

Contrairement à ce que pensent la plupart des personnes qui fument, elles n’ont pas commencé juste « pour faire comme les autres », ou quelles que soient les raisons invoquées, mais à cause de milliers de messages reçus depuis l’enfance. C’est un conditionnement puissant, un lavage de cerveau.

La raison principale pour laquelle vous continuez est que cette industrie a réussi à vous faire avoir plus peur d’arrêter de fumer que de continuer.

Ce piège très élaboré a créé un virus mental dont il faut maintenant vous libérer.


Continuez votre lecture avec cet article :

Cet article est un extrait du livre : Arrêter de fumer n’a jamais été aussi facile !


Sources

1 Vapoter augmenterait le risque de cancers et de de maladies cardiaques selon un article de janvier 2018 publié par des chercheurs de la faculté de médecine de l’université de New York. 01/2018, E-cigarette smoke damages DNA and reduces repair activity in mouse lung, heart, and bladder as well as in human lung and bladder cells, Hyun-Wook Lee, et al. , PNAS 2018;

2 1992, Nicotine withdrawal symptoms and psychiatric disorders: findings from an epidemiologic study of young adults – Breslau N1, Kilbey MM, Andreski P. – Am J Psychiatry. 1992 Apr;149(4):464-9.

3 Juillet 2009, How are habits formed: Modelling habit formation in the real world, Philippa Lally, Cornelia H. M. van Jaarsveld, Henry W. W. Potts, Jane Wardle – European Journal of Social Psychology Volume 40, Issue 6 October 2010 Pages 998–1009

4 Janvier 2009, Inhibition of Monoamine Oxidases Desensitizes 5-HT1A Autoreceptors and Allows Nicotine to Induce a Neurochemical and Behavioral Sensitization, Christophe Lanteri, Sandra Jimena Hernández Vallejo, Lucas Salomon, Emilie Lucie Doucet, Gérard Godeheu, Yvette Torrens, Vanessa Houades and Jean-Pol Tassin – Journal of Neuroscience 28 January 2009, 29 (4) 987-997; DOI: https://doi.org/10.1523/JNEUROSCI.3315-08.2009

5 Mai 2011, A prospective cohort study challenging the effectiveness of population-based medical intervention for smoking cessation, Hillel R Alpert1, Gregory N Connolly, Lois Biener

6 Un placebo est par abus de langage une substance sans principe actif mais qui, en raison de son aspect, peut agir par un mécanisme psychologique sur un sujet croyant prendre une substance thérapeutique.

7 Mai 2013, Cigarette craving and withdrawal symptoms during temporary abstinence and the effect of nicotine gum, Brown J, Hajek P, McRobbie H, Locker J, Gillison F, McEwen A, Beard E, West R.,

8 Anna Kirwan est auteur de best-seller et poétesse. Ses écrits sont apparus dans de nombreuses anthologies.

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