Marketing mortel pour la cigarette

Comment êtes-vous tombé·e dans le tabagisme ? (Épisode 2)

​Le marketing de la cigarette

Cet article est la suite de l’épisode 1 : Pourquoi fumez-vous vraiment ?

Dès le début, les fabricants de cigarettes ont compris que s’ils voulaient en généraliser l’usage, il ne fallait pas travailler uniquement à l’amélioration de leur produit, mais également à son image.

Ils ont assez rapidement axé leurs campagnes sur le fait que ce nouveau moyen de fumer la cigarette permettait de se démarquer des « gros richards » fumeurs de cigares ou des « vieux » fumant la pipe.

Une image ainsi plus jeune et plus moderne a donc commencé à lui être associée.

Les deux guerres mondiales ont ensuite constitué un moyen incroyable d’embrigadement quand les cigarettiers ont réussi à en faire fournir gratuitement aux soldats. Pendant la Première Guerre mondiale, la production de Camel passa de 2 à 28 milliards de cigarettes par an.

Après avoir risqué leur vie, des millions d’hommes sont revenus du front dépendants de la cigarette. Comme souvent dans les affaires de drogue, les premières prises sont gratuites. Rares sont les personnes ayant payé leur première cigarette.

L’autre prouesse en matière d’image a été d’associer le fait de fumer à un archétype d’héroïsme, de bravoure et de virilité voire au patriotisme, à la vertu d’une vie simple et même à l’hygiène ! C’est cette image qui allait attirer par la suite des millions de jeunes hommes vers la cigarette.

En France, jusqu’en 1975, l’armée intégrait des cigarettes gratuites dans les rations. Le tabac a continué d’être vendu dans les casernes jusqu’en 19901.

Si la guerre est si utile à l’industrie du tabac, c’est que le danger immédiat dans lequel on se trouve est tel que l’éventualité d’un cancer ou d’un emphysème dans vingt ans ne compte pas. D’autant qu’à l’époque, les dangers de la consommation étaient connus uniquement des fabricants2.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’industrie fit en sorte que le tabac ait une place importante dans le plan Marshall. L’idée était d’exporter vers l’Europe le mode de consommation désormais si bien répandu aux États-Unis. Ainsi, entre 1947 et 1951, près d’un tiers des financements liés à l’alimentation du plan Marshall fut affecté au tabac. En 1947 par exemple, 90 000 tonnes de tabac furent acheminées « gratuitement » des USA vers l’Europe.

Au point que les peuples affamés durent accepter à peu près autant de tabac que de pain.

Mais le véritable génie de l’industrie du tabac repose sur deux innovations majeures :

  • cibler les futurs consommateurs dès le plus jeune âge afin d’imprimer dès l’enfance les mécanismes inconscients qui poussent à fumer à l’adolescence ;
  • vanter non pas le produit, mais l’image et les valeurs qu’il véhicule. Ceci nous paraît évident aujourd’hui en matière de marketing, mais c’est l’industrie du tabac qui, pour la première fois, a utilisé ce procédé à une échelle industrielle et mondiale.

​Le marketing à destination des enfants

Si la plupart des personnes ne le savent pas, dès l’enfance vous avez été soumis·e à de multiples messages qui vous préparaient à devenir de futurs « fumeurs ».

Les cigarettiers savent bien que les enfants et les adolescents sont très influençables, leur personnalité étant en train de se forger. Le regard de l’autre et son approbation comptent énormément. Afin d’obtenir cette dernière, plutôt que de mettre en avant ses qualités dont il croit manquer le plus souvent, il est plus aisé d’adopter un « style » correspondant aux qualités que l’adolescent cherche à incarner. Ce « style » est composé de l’habillement, la musique écoutée, les livres lus, le langage, la gestuelle et les comportements.

Or, tout a été fait pour que, dès l’enfance, le fait de fumer soit auréolé d’un certain nombre de « qualités ».

Dans les années 1930, Reynolds consacrait ainsi quinze pour cent de son budget publicitaire à financer des bandes dessinées dominicales touchant 23 millions de lecteurs dans 149 journaux différents3.

On retrouve même dans plusieurs épisodes du célèbre dessin animé « la famille Pierrafeu » (« The Flintstones » en anglais ) une publicité complète pour la marque de cigarettes Winston.

Winston a été l’un des sponsors originaux de The Flintstones (Les Pierrafeu) de 1960 à 1962. On peut y voir des personnages (Fred Flintstone et Barney Rubble) dans les publicités de Winston et, à chaque fin d’épisode, Fred allume une Winston pour sa femme Wilma ou fume avec Fred.

Vous avez peut-être également connu les cigarettes en chocolat, ces fameuses friandises créées avec la bénédiction des grands cigarettiers4.

Il existe même des chewing-gums, des jouets ou des farces et attrapes en forme de cigarette.

Pire, le packaging des paquets de vraies cigarettes autant que leurs saveurs sont conçus afin d’être « attrayants pour des gamins »5.

Cigarettes en chocolat à l’effigie des marques, cigarettes et briquets jouets pour « ressembler à papa » (Photo : Wikimédia Commons)

On trouve aujourd’hui encore des cigarettes aromatisées au chocolat ou à la fraise, qui font un tabac auprès des ados. Un tiers des fumeurs de treize ans et moins choisissent ces cigarettes sucrées6. Il est en effet plus facile de passer de la Chupa Chupps à une cigarette bonbon qu’à la classique. Mais, les effets sur la santé sont les mêmes.

Les cigarettes sont aussi vendues en paquets de 10, voire moins, plus facilement accessibles pour les ados et les enfants.

Si certaines de ces pratiques sont aujourd’hui interdites en France7, il n’en est pas toujours de même au niveau européen, et les contournements sont nombreux. Par exemple, bien que l’article L.3512-5 du code de la santé français interdise « la publicité en faveur […] d’un produit […] lorsque, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque, d’un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac[…] », on trouve encore très facilement ce type de produits dans les commerces ou les plateformes de vente en ligne. Leur publicité est interdite, mais pas leur vente…

Capture d’écran du 26/10/2021 sur le site mrsweet.fr8. Cigarettes en chocolat, cigarettes en chewing-gum… Cette enseigne n’est malheureusement pas la seule à proposer ce type de produits.

Dans leurs communications internes, les grands cigarettiers parlent de la tranche d’âge de l’enfance comme des « fumeurs de remplacement »9, nécessaires pour compenser le taux de pertes dues à la phase terminale d’une vie de tabagisme. Par ailleurs, il a été important de saturer l’espace d’apparitions télévisuelles et cinématographiques de cigarettes afin de banaliser le geste et si possible lui associer des valeurs positives. Quand les producteurs ne pouvaient pas être « achetés », les acteurs l’étaient.

Lettre de l’acteur Sylvester Stallone du 28 avril 1983 indiquant qu’il utilisera les produits de Brown & Williamson Tobacco contre un paiement de 500 000 $.

Un des exemples célèbres est Sylvester Stallone qui a demandé 500,000 $ USD pour fumer dans cinq de ses films. Ce serait également le cas de Sean Connery, John Wayne, Bette Davis, Gary Cooper,10

En 2005, aux États-Unis, un film sur six mettait en avant des marques de cigarettes y compris quand celui-ci visait un public d’enfants et d’adolescents : « Les Muppets, le film », « Une équipe d’enfer », « Men In Black » ou encore « Avatar ». La moitié des fumeurs commencerait à cause de ce matraquage11.

Et tout cela bien entendu est motivé par l’argent. L’industrie du tabac a calculé que vous leur rapporterez en moyenne 10 000 $ (USD) de bénéfices avant de mourir. On comptabilise en moyenne un mort par million de cigarettes vendues et un cent de bénéfice par cigarette.

La valeur de votre vie pour eux : 10 000 $ … et vous, quelle valeur lui accordez-vous ?


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Comment êtes-vous tombé·e dans le tabagisme ? (Épisode 3)

Cet article est un extrait du livre : Arrêter de fumer n’a jamais été aussi facile !


Sources

1 2008, Le tabac en France de 1940 à nos jours : Histoire d’un marché, Eric Godeau, PU Paris-Sorbonne, ISBN 2-8405-0561-4

2 2012, Golden Holocaust, La conspiration des industriels du tabac, Robert N. Proctor, Equateurs Documents, ISBN 978-2-84990-278-3)

3 2012, Golden Holocaust, La conspiration des industriels du tabac, Robert N. Proctor, Equateurs Documents, ISBN 978-2-84990-278-3) p88

4 05/02/1969, « Kent Trade Mark », J. S. Speer III (à E. W. Toole), Bates 00487906

5 Note interne de 1970 dans les archives de Lorillard

6 07/05/2014, Les « cigarettes bonbons » en procès, Céline Asselot, http://www.francetvinfo.fr/

7 Loi Bachelot du 21 juillet 2009 pour les cigarettes aromatisées, lois de 2016 du code de la santé pour les paquets de dix cigarettes.

8 https://mrsweet.fr/fr/12-bonbons-a-l-ancienne

9 2012, Golden Holocaust, La conspiration des industriels du tabac, Robert N. Proctor, Equateurs Documents, ISBN 978-2-84990-278-3) P107

10 26/09/2008, Revealed: The Hollywood stars who were paid thousands to promote smoking, Daily Mail Reporter

11 2006, « Smoking in the Movies Increases Asolecsent Smoking : A review », Charlesworth et S. Glantz, pediatrics, n°116, p1516-1528 A.

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